Belle idée que celle de Franz Messerly ! En tant que tel toutefois, il n’invente strictement rien. Il ne fait que reprendre à son compte la théorie développée et répandue depuis de nombreuses années par Albert Goodwill Spalding, visant à justifier les succès répétés des athlètes américains. Est-ce la raison pour laquelle, l’article de Sporting Life auquel nous faisions référence dans notre article précédent est illustré d’une photo de Spalding ? Cela laisse dans tous les cas supposer valablement que celui-ci n’est pas étranger ni à cette initiative, ni à la provenance des fonds destinés à rémunérer les instructeurs.
Déjà en août 1912, Spalding, interviewé par le New York Times[i] déclare-t-il : « Je ne suis pas surpris par les résultats des Jeux de Stockholm. L’histoire ne fait que se répéter. […] Pourquoi nos athlètes gagnent-ils toujours ? », demande-t-il avant d’apporter lui-même la réponse : « Je crois que le secret de ces succès continuels réside dans le type d’entraînement prodigué pour notre sport national, et nos adversaires étrangers ne pourront pas espérer atteindre le niveau des athlètes américains tant qu’ils n’auront pas intégré cette leçon et adopté le baseball ». Cette théorie peut paraître simpliste - ne serait-ce que parce que si elle était exacte les Américains auraient remporté toutes les médailles lors de toutes les compétitions Olympiques - elle n’en est pas moins largement répandue, au grand dam des sportifs français. Nous pouvons ainsi relever la pointe d’agacement de l’auteur d’un article paru en novembre de la même année dans la revue La culture physique[ii] : « […] on était bien persuadé en Angleterre, aussi bien qu’en Amérique, de l’infériorité notable des Français en tous sports. C’était chez nos voisins une opinion bien ancrée qu’une nation ignorante du baseball et du cricket ne pouvait posséder d’athlètes en quelque branche que ce fût. » Il n’est donc pas surprenant de lire dans la presse américaine, en réaction à l’annonce de la création de l’Union Française de Base Ball, qu’enfin « les athlètes Français pensent avoir résolu le problème olympique »[iii] !
Le lieutenant de vaisseau Georges Hébert en 1913 |
Spalding a indéniablement raison lorsqu’il avance que la pratique du baseball constitue un excellent entraînement pour la course, le saut et le lancer et permet non seulement de développer la coordination psychomotrice mais aussi l’anticipation et la réactivité. L’idée est-elle pour autant de lui ? Ce n’est pas si évident car, en somme, la manière qu’il a de présenter le baseball n’est pas si éloignée de ce que prône au début de ce siècle le Français Georges Hébert[iv] au travers de sa méthode d’entraînement du corps dont les dix volets sont : la marche, la course, le saut, le grimper, le lever, la quadrupédie, le lancer, l'équilibre, la défense et la natation. Avec quelques adaptations et un bon argumentaire, Spalding est sûrement capable de convaincre son monde que la pratique du baseball couvre la plupart de ces volets, à l’exception sans doute de la natation et du grimper. Quoi qu’il en soit, les athlètes français sont prévenus : s’ils veulent élever leur niveau et rivaliser avec les Américains, ils doivent s’approprier le baseball, et le plus tôt sera le mieux : les prochains Jeux sont prévus pour se tenir en 1916 à Berlin, il reste donc à peine quatre ans pour s’y préparer ! Dès lors, Messerly ne ménage pas ses efforts pour convaincre, d’une part les sportifs renommés, et d’autre part les autorités parisiennes assez récalcitrantes au départ, que le baseball est le sport de l’avenir[v], jouant en cela le rôle de relais des théories de Spalding.
Melchior de Polignac et Jean Bouin (18 octobre 1913, au parc Pommery à Reims) |
L’initiative de Messerly doit par conséquent être regardée comme l’une des premières pierres de l’organisation de la pratique du baseball en France, posée en vue de permettre aux Français d’atteindre un objectif ambitieux : améliorer leurs performances sportives sur la scène mondiale. Nous pouvons considérer qu’elle s’inscrit à ce titre dans un mouvement bien plus général entrepris par de nombreuses personnalités de l’époque - dont le Marquis de Polignac[vi], membre du Comité international olympique - et qui vise à populariser le sport (élargir le vivier d’athlètes potentiels) mais également à lui donner des structures efficaces (améliorer la qualité de la préparation et des compétitions).
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[i] « To Baseball is due Olympic Successes », in The New York Times, 18 août 1912. Voir également « Harry Davis May Teach Baseball To Foreigners », in The Milwaukee Journal, 22 septembre 1912, op. cit..
[ii] « Un athlète au pied du mur » par Edmond Desbonnet, in La culture physique, n° 189, 15 novembre 1912, p. 26.
[iii] « France Going In For Baseball », in The Saskatoon Phoenix, 7 décembre 1912.
[iv] Georges Hébert (1875-1957), directeur des exercices physiques dans la marine, puis directeur technique du Collège d’Athlètes de Reims, donne la définition suivante du sport : « tout genre d'exercice ou d'activité physique ayant pour but la réalisation d'une performance et dont l'exécution repose essentiellement sur l'idée de lutte contre un élément défini, une distance, un danger, un animal, un adversaire et par extension contre soi-même ».
[v] « Baseball In France », article de F. Messerly dans Baseball Magazine, octobre 1917, vol. 19, p. 564.
[vi] Marie Charles Jean Melchior, Marquis de Polignac (1880-1950), homme d'affaires français, fonde à Reims en 1913 le Collège d'Athlètes, premier centre d'éducation physique de France, où Jean Bouin s’entraîne alors.
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