24 juin 2014

Surréaliste !

Alan Seeger, jeune Américain le 22 juin 1888, sort diplômé de l’université de Harvard en 1910. Lui qui contribuait déjà en tant quauteur pour le Harvard Monthly, consacre les deux années qui suivent la fin de ses études à écrire de la poésie et à mener une vie de Bohème dans Greenwich Village. Il décide de rejoindre Paris dès 1912 et il nest pas exclu quil y croise son camarade de promotion John Reed, cet éphémère membre de lAmerican Paris Team. Très vite, il tombe amoureux de la France et, dans le but dy demeurer, entreprend de soumettre ses œuvres poétiques et des textes de sa composition à de nombreuses revues.

Alan Seeger en 1910.
Peu de temps après le passage des Giants et des White Sox, fortement inspiré, Seeger adresse depuis son domicile dans le Quartier Latin une lettre au rédacteur en chef dune nouvelle revue mensuelle pour lui faire part de son désir de publier « quelque chose en français et qui pût être utile aux Français » au sujet de ces exhibitions et de ce sport. Cette revue littéraire et artistique à faible tirage parue sous le titre Les soirées de Paris, récemment fondée comme une sorte de laboratoire par un certain Wilhelm Albert Włodzimierz Apolinary de Wąż-Kostrowicki et quatre de ses proches[i], soccupe principalement de littérature moderne. On peut lire dans ses pages des œuvres tout-à-fait novatrices, radicales et même surréalistes décrivains tels que Blaise Cendrars, André Salmon ou Max Jacob. Son deuxième sujet de prédilection est lart sous toutes ses formes mais essentiellement la peinture nouvelle : outre les critiques doeuvres de toutes sortes y compris cinématographiques[ii], on y trouve de nombreuses illustrations et reproductions de tableaux signées de Marie Laurencin, de Matisse, du douanier Rousseau, ou bien encore des cubistes Fernand Léger et Picasso.

Si le nom du fondateur de cette revue vous évoque vaguement quelque chose, vous ne pouvez en aucun cas ignorer son pseudonyme : Guillaume Apollinaire. Cest dans Les soirées de Paris quApollinaire, âgé dune trentaine dannées, publie quelques-uns de ses poèmes considérés aujourd’hui comme majeurs : « Le Pont Mirabeau », « Zone », « Clotilde », « Marie-Sibylle », « Rosemonde », « Annie », « Le voyageur », « Cors de chasse », « Marie » et « Vendémiaire ». Certains dentre eux sont très tôt repris dans le fameux recueil Alcools.

Apollinaire en 1914.
Au mois de mai 1914, Alan Seeger fait porter à Apollinaire un article de cinq pages rédigé dans un français parfois approximatif et intitulé Le baseball aux Etats-Unis, accompagné dun petit courrier :
Cher Apollinaire,
Voici un article de sujet bien moderne qui doit vous plaire pour les Soirées. Je l’ai mis en mauvais français, comme exercice. Vous pourriez, si vous l’acceptez, écrire une petite introduction, comme on fait ici en France dans les revues et journaux, expliquant en quelques lignes comment les deux équipes champions de l’Amérique sont passées par Paris, comment le mauvais temps a empêché le jeu, et disant ensuite que M. Alan Seeger, poète américain, communique le suivant, etc., etc.
Vous trouverez le français exécrable surtout à partir de la troisième page où j’ai travaillé seul, mais vous comprendrez mieux mon mauvais français que mon bon anglais. J’espère que vous pourrez vous servir de ceci.
Alan Seeger, 17, rue du Sommerard
Pour quelle raison Apollinaire accepterait-il dinsérer un article sur le baseball dans sa revue ? Sans doute parce que, se positionnant à la pointe dun mouvement davant-garde, les membres du comité de rédaction et lui-même estiment quil sagit dun sport totalement nouveau venu dun pays affranchi des contraintes de lancien monde et quà ce titre il est susceptible de correspondre à lhomme moderne. Très intéressé par le sujet, Apollinaire fait effectivement paraître cet article en août 1914[iii] , dans ce qui s’avèrera être l’ultime numéro des Soirées de Paris. Seeger y exhorte littéralement les Français à s’adonner à ce jeu, ce qui fera dire à Apollinaire quelques années plus tard dans le Mercure de France [iv] :
« Il vaudrait la peine qu’on republiât en plaquette l’article de Seeger et qu’on le répandît à profusion, car personne n’a mieux montré les délices et l’utilité de ce jeu auquel les journaux américains consacrent chaque jour plusieurs colonnes. » 
Larticle de Seeger ne sera malheureusement jamais republié en plaquette comme le souhaitait Apollinaire et Dieu seul sait qui a pu lire, en ce lourd mois daoût 1914, la version originale que vous trouverez ci-dessous reproduite.








***
[i] Savoir André Billy, René Dalize, André Salmon et André Tudesq.
[ii] Voir la « Chronique cinématographique » de Maurice Raynal, qui compte parmi les premières en France à traiter du septième art.
[iii] Le Baseball aux Etats-Unis, in Les soirées de Paris, 1914/07 (N26)-1914/08 (N27), p. 447-451, source gallica.bnf.fr, ISSN 12459577. Cf. rubrique La vie Anecdotique, in Mercure de France, n°489 tome CXXX, 1er novembre 1918, p. 177.
[iv] Mercure de France, n°486 tome CXXIX, 16 septembre 1918, p. 346.

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