7 mars 2013

Une décennie perdue ? (seconde partie)


A peine six mois plus tard, c’est Fernand Bidault qui propose sa vision quelque peu ironique dans La vie au grand air[i] : « Le baseball a ceci de commun avec le Pôle Nord, la direction des aéroplanes et un certain nombre d’autres objets qu’il nous reste encore à le découvrir. Nous sommes à la fin de 1907, et nous ignorons toujours le base-ball. Et aucun indice ne nous permet d’espérer que nous pourrons voir de près, en France, un joueur de base-ball dans un temps plus ou moins éloigné ». Et plus loin : « le base-ball est un sport salutaire, émouvant, et capable d’exciter au plus haut point les passions humaines ». Cet article nous apprend au passage que l'Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques, la fameuse fédération omnisports, a « codifié » le baseball ; il faut sans doute comprendre par là qu’elle en a traduit les règles officielles. Et Fernand Bidault d’ajouter avec une fausse naïveté : « A force de voir réglementer ce sport jusqu’ici inconnu, quelques observateurs finiront bien par remarquer son existence et un nouveau champ sera ouvert à notre dévorante activité ». Il aurait été intéressant de savoir qui, au sein de l’U.S.F.S.A., a participé à ces travaux de réglementation. Malheureusement, aucune information ne nous est donnée à ce sujet.

En 1908, à New York, l’humoriste Jack Norworth et le compositeur Albert Von Tizler offrent au baseball sa plus célèbre chanson, pour ne pas dire son hymne : « Take Me Out to the Ball Game ». De ce côté-ci de l’océan, c’est dans la très sérieuse revue Le Correspondant[ii], que Félix Klein publie un article intitulé « L’Amérique de demain », dans lequel il décrit les mécanismes d’intégration des immigrants dans ce pays, et transcrit une discussion avec un prêtre du nom de P. Talbot Smith. Celui-ci lui dit notamment : « Le baseball favorise, rien de plus évident, le développement physique, mais il développe aussi les habitudes sociales. […] Le baseball est un instrument efficace d’assimilation. Vous voyez ce jeune Filippino ? Il est regardé comme bon Américain, parce qu’il joue parfaitement le baseball ». Mais à quoi pourrait bien servir ce sport pour une France qui ne connaît pas encore de réels problèmes d’intégration ?


Couverture de la revue La vie au grand air (1907)
La même année, le journaliste Claude Albaret rédige pour le Journal des voyages et des aventures[iii] un excellent article sur trois colonnes illustré de trois photographies, dans lequel il annonce en introduction : « Le jeu de base-ball (prononcez bèse-bâle) n’a fait en Europe que de timides apparitions. Avouons qu’il est à peu près inconnu en France. D’origine américaine, il passe plus encore que le football pour être le sport national des yankees. Là-bas, tout le monde le pratique ». A vrai dire, et même si les règles y sont à peu près bien résumées, cet article aborde surtout le baseball comme un prétexte pour parler des mœurs américaines et moquer les femmes : « les jeunes filles elles-mêmes ne s’effraient pas de son aspect viril et pourtant peu gracieux […] on sait leur souci d’imiter les hommes, de réduire au minimum l’abîme qui sépare les deux sexes. Après avoir envahi tous les métiers masculins […] les misses du Nouveau Monde ont voulu prouver au sexe fort qu’il avait tort de vouloir monopoliser les sports virils, ceux qui exigent autant de force que d’adresse. Et voilà pourquoi les collèges des Etats-Unis possèdent désormais leurs équipes de base-ball ».

Camille Meillac, auteur d’un petit ouvrage[iv] intitulé « Les Sports à la mode » paru en 1909 cite le baseball, ce qui laisse évidemment entendre que cette discipline est en vogue, et en donne cette définition, dont les connaisseurs apprécieront toute la précision : « Le base-ball, sport national des Etats-Unis, est une variété très compliquée du cricket. Les joueurs, au nombre de dix-huit, forment deux équipes : ceux qui battent la balle et ceux qui tiennent le camp. Les batteurs, après avoir relancé la balle avec une large batte, se mettent à courir et doivent arriver à certains arrêts marqués d’avance et appelés bases, avant que la balle n’ait achevé un parcours déterminé. Il serait dangereux de recevoir la balle en cuir ou en bois. La partie, comprenant sept manches, est gagnée par le camp qui a le plus de runs ou points. » En quoi le baseball est-il spécialement à la mode ? Rien hélas ne permet de répondre à cette question et lon ne peut quune fois de plus déplorer que le sujet ne soit que survolé.
Table des matière de Les sports à la mode (p. 63)
Après des débuts remarqués et de rapides progrès, quest finalement devenu le baseball français ? Vingt ans, se sont écoulés depuis le passage des Chicago White Stockings en France mais au fond, si l’on en juge par la presse, il faut bien admettre que les répercussions ont été quasi-nulles et que les apparitions de Spalding en 1889 et en 1900 n’ont servi que son prestige personnel aux yeux du public Américain. Le baseball est certes pratiqué de manière constante depuis les années 1880 à Paris par la communauté américaine, mais il demeure perçu - justement à cause de cela ? - comme une discipline exotique alors que dautres sports apparus dans le même temps ou même plus tard dans le paysage, tels le football et le rugby, ont vraiment trouvé leur place et ont su se faire apprécier du public. Tout reste encore à faire pour sortir le baseball de sa marginalité ou, pour voir les choses de façon plus positive, le meilleur reste encore à venir.

***

[i] « Le base-ball », in La vie au grand air, 4 décembre 1907.
[ii] « L’Amérique de demain », in Le Correspondant, 10 avril 1908, p. 160.
[iii] « Sports modernes. Le Base-Ball », par Claude Albaret, in Journal des voyages et des aventures de terre et de mer, Supplément Sur terre et sur mer, n°596, 3 mai 1908, p. 398.
[iv] « Les sports à la mode », par Camille Meillac, éditions Paul Laclot, 1909.

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