Âgée de 17 ans en 1899, Geraldine Farrar, soprano américaine, se voit proposer par la cantatrice française Melba[i] de parfaire son éducation et de suivre des leçons de musique à Paris. Ses parents sont d’accord mais, compte tenu de son jeune âge, du climat tendu qui règne en France (l’affaire Dreyfus a atteint son apogée) et, de manière plus générale, des grands dangers que représente le Quartier Latin, ils tiennent à l’accompagner. Dans ce but, ils vendent le magasin familial de Melrose dans le Massachussetts[ii], contractent un emprunt, rassemblent leurs économies et montent à bord d’un transatlantique. La famille Farrar arrive dans la capitale en septembre 1899. Entre ses cours de chant avec Trabadello et de comédie avec Martini, Geraldine profite de la vie culturelle parisienne avec ses parents et a notamment l’occasion d’admirer la divine et scandaleuse Sarah Bernhardt sur scène.
Le père de Geraldine, Sidney Douglas, dit Sid, Farrar, prétendra dans une interview donnée à un journaliste de The Washington Post[iii] que son épouse, Henrietta, a fait découvrir les baked beans aux Parisiens et que lui-même a introduit le baseball en France et monté, dans le Quartier Latin, deux équipes constituées d’étudiants majoritairement américains et de quelques Français. Farrar peut se targuer d’avoir eu une carrière professionnelle bien remplie : il a joué en champ intérieur[iv] 943 matchs de 1883 à 1890 pour les Philadelphia Quakers devenus les Phillies par la suite, dans la National League, et pour les Philadelphia Athletics dans l’éphémère Players League. S’il est tout à fait envisageable qu’il ait passé le temps en encadrant des équipes de jeunes étudiants, il est en revanche rigoureusement exclu qu’il ait introduit le baseball à Paris, ni dans l’absolu - nous l’avons vu - ni même en cette seule année 1899 : Dans le journal canadien St. John Daily Sun du 3 juin 1899[v], soit trois mois avant l’arrivée de Sid Farrar en France, nous pouvons ainsi lire que Murray Macneill, membre de l’Anglo-Saxon College, a écrit à son frère que « le premier match de baseball joué en France s’est déroulé à Paris le 13 mai entre les étudiants du Anglo-Saxon College et les étudiants en Art américains » et que ces derniers ont remporté le match. Selon cet article, Lewis Ford, le journaliste de la revue « La vie au grand air » – celui-là même qui écrivait sur le baseball à l’issue de la guerre hispano-américaine – s’est d’ailleurs montré très intéressé de savoir quand le prochain match aurait lieu afin de dépêcher un photographe en cette occasion.
Voilà bien de quoi se demander si le match joué par les équipes de Spalding en 1889 a laissé un quelconque souvenir à qui que ce soit dans ce pays ! Dans le cas de Farrar, l’erreur est difficilement compréhensible dans la mesure où il était encore professionnel au moment où Spalding faisait sa tournée. Comment aurait-il pu ne pas être informé de la tournée des White Stockings et ne pas savoir qu’une démonstration de baseball avait été donnée à Paris en 1889 ? Comment peut-il ignorer, ou feindre d’ignorer, que la colonie américaine locale pratique le baseball depuis près de 15 ans ? Cela étant dit, il faut bien reconnaître que Farrar n'est pas réputé pour savoir garder sa langue dans sa poche sur et en dehors des terrains de baseball ; il arrive même que les journalistes le traitent ouvertement d’âne dans leurs lignes et l’épinglent pour son comportement[vi]. Ne lui en tenons donc pas trop rigueur.
Le séjour des Farrar en France prendra fin à l’automne 1900, époque à partir de laquelle Geraldine parachèvera son apprentissage à Berlin et y fera des débuts très remarqués en interprétant Marguerite dans Faust, puis Mignon, Manon ou encore Juliette dans Roméo et Juliette. On lui prêtera alors une liaison avec le jeune Kronprinz Guillaume de Prusse.
Geraldine deviendra par la suite une illustre cantatrice du Metropolitan Opera de New York et une grande actrice du cinéma muet. Son rôle le plus significatif au cinéma sera celui de Jeanne d'Arc dans la superproduction Joan the woman de Cecil B. DeMille[vii]. Ce film sortira dans les cinémas américains à Noël 1916 et contribuera au changement de l’opinion publique américaine et à l’entrée en guerre des Etats-Unis en 1917. Cela surpasse largement tous les baked beans et les matchs de baseball du monde.
Ci-après un très bon montage de séquences de « Joan the woman » :
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[i] « Mme Melba’s new protegee », in The San Francisco Call, 5 mars 1898, p. 4.
[ii] Cf. The Evening Times, 1er février 1896, p. 3.
[iii] « Paris’ Baked Beans Due To Mrs Farrar », in The Washington Post, 20 février 1927.
[iv] Il a joué première base, deuxième base et arrêt-court. Selon The Times (26 avril 1899, p. 6), il était le meilleur du pays à cette dernière position.
[v] « The Game In France », in St. John Daily Sun, 3 juin 1899 (journal du Nouveau-Brunswick).
[vi] Cf. « Gossip from Boston », in Pittsburg dispatch, 9 septembre 1889, p. 6, où nous pouvons lire “Sid Farrar of the Philadelphia club made a very able jackass out of himself in the first Philadelphia game. Sid would make a fine captain of a whaling vessel.” !
[vii] Après Carmen, Tentation et Maria Rosa, c’est son quatrième film sous la direction de Cecil B. DeMille.
[vii] Après Carmen, Tentation et Maria Rosa, c’est son quatrième film sous la direction de Cecil B. DeMille.
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