Dès le début du printemps 1900, les membres de la colonie américaine organisent comme à l’accoutumée des matchs de baseball tous les samedis après-midis dans le bois de Boulogne[i]. Il est certain que Sid Farrar y participe et peut-être aussi le dénommé Murray Macneill, s’il est encore à Paris. Cette année-là, l’Exposition Universelle et les Concours internationaux d’exercices physiques et de sports qui lui sont rattachés, attirent plus de 50 millions de visiteurs dans la capitale. Ces concours seront plus tard rebaptisés Jeux olympiques mais à proprement parler, comme le souligne André Drevon dans son ouvrage « Les Jeux Olympiques oubliés »[ii], « la manifestation […] n’a jamais porté sur le moment le nom de Jeux olympiques : aucun document d’époque ne mentionne ce titre ». Quoi qu’il en soit, une pléthore de compétitions[iii] de toutes sortes se déroule pendant ces deux événements, dont l’organisation est à la charge de l'Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA). S’exprimant au sujet de la sélection des épreuves sportives et de la distinction entre disciplines, Pierre de Coubertin explique[iv] : « Les jeux reconnus comme internationaux sont le football (rugby et association), le hockey, le cricket, le lawn tennis, le croquet et le golf ; […] tous ces jeux sont pratiqués en France. D’autres, tels le baseball ou la crosse, etc., ne peuvent faire l’objet que d’exhibitions car ils ne sont pas pratiqués en France », et il ajoute « par exemple, si les Américains résidant à Paris constituaient une équipe pour affronter une autre équipe venant d’Amérique, ce concours recevrait l’appui et le soutien du Comité de l’Exposition, qui remettrait peut-être même un prix ; mais il ne revêtirait nécessairement qu’un caractère américain – c’est-à-dire purement national. »
De fait, inscrit au programme des concours[v], le baseball doit faire l’objet d’un tournoi le dimanche 26 août au stade vélodrome municipale du Bois de Vincennes[vi], à l’issue du lâcher-concours de pigeons voyageurs. Des 40.000 places que le stade olympique offre, aucune ne sera pourtant occupée : Vraisemblablement en raison de l’absence d’équipe française, ce tournoi ne peut malheureusement pas avoir lieu. Fort logiquement, le rapport officiel des Jeux indique donc que cette compétition ne s’est pas tenue[vii]. Toutefois, le rapport de la délégation Américaine fait quant à lui état d’un match joué dans l’après-midi du 20 septembre entre deux équipes Américaines : les Publishers se seraient inclinés sur le score de 19 à 9 devant les American Guards et leur capitaine Walter Huston Lilliard[viii]…
En réalité, les choses sont bien plus compliquées que cela et à la fois beaucoup plus intéressantes aussi. Il n’y a pas moins de six équipes de baseball à Paris durant cet été, qui s’affrontent tous les samedis de juin à septembre[ix], et encore faut-il relever que les équipes de l’Anglo-Saxon College ou du Racing Club de France ne participent apparemment pas. Il y a tout d’abord les deux équipes strictement locales que nous avons déjà évoquées précédemment : celle des Beaux-Arts (autrement dit de l’American Art Association) et celle du Latin Quarter. Cette seconde équipe est présentée dans le « Spalding’s Official Base Ball Guide for 1901 » comme ayant remporté en 1898 et 1899 le championnat (de Paris, a priori), alors que selon le New-York Tribune c’est l’équipe des Beaux-Arts qui détenait le titre depuis cinq ans[x], autrement dit depuis 1895. Puis viennent trois autres équipes directement liées à l’Exposition Universelle et dont nous avons croisé quelques-uns des acteurs dans notre précédent article : les American Guards[xi], constituée d’une partie des étudiants chargés de la sécurité de l’exposition américaine sous la supervision d’Alvie King ; les Publishers, constituée de journalistes et reporters américains qui ont leur quartier général sur l’esplanade des Invalides ; et les Electricians, rassemblant de jeunes électriciens envoyés par leur gouvernement pour s’occuper de tout l’éclairage des différentes sections américaines de l’exposition [xii].
La sixième de ces équipes est encore un peu plus spéciale et mérite toute notre attention. Dans le cadre des festivités liées à l’Exposition Universelle, le chef d’orchestre John Philip Sousa a fait, comme nous l’avons vu, le déplacement depuis les Etats-Unis. Surnommé « the American March King » en raison des nombreuses marches militaires qu’il a composées[xiii], cet ancien directeur du United States Marine Band a monté son propre orchestre et effectue une interminable tournée européenne[xiv]. Sousa participe à toutes les cérémonies américaines et a même l’insigne honneur de pouvoir défiler sur les Champs Elysées avec son orchestre le 4 juillet. La particularité de ce compositeur est son amour inconditionnel pour le baseball : il tient à ce que ses musiciens le pratiquent où qu’ils aillent. De fait, ils ne se déplacent habituellement jamais sans leurs uniformes, leurs gants et tout leur attirail, et s’ils ne trouvent pas d’équipe locale à affronter, alors les bois affrontent les cuivres. Il va de soi que son équipe joue un match dans la capitale[xv], en l’occurrence le 9 juillet contre l’équipe des Guards (match remporté par ces derniers sur le score de 13 à 12). A ce match assistent tous les officiels de l’exposition américaine et plusieurs centaines de citoyens Américains ou Français[xvi]. C’est à juste titre que Sousa peut être considéré non seulement comme un ambassadeur de la musique Américaine mais aussi, à sa façon, du baseball.
L’équipe de baseball de Sousa. |
Que dire du championnat 1900 si ce n’est que l’équipe des Guards le domine et n’est battue que trois fois durant tout l’été ? Il faut noter que, outre leur jeunesse et leur force, les membres de cette équipe bénéficient d’un atout de taille puisque tous pratiquent ou ont pratiqué le baseball dans leur college respectif : Stauffer, le lanceur, à Denver City, Moorehouse, le catcheur, à la Dover School en 1898, Lillard, le défenseur de première base, à la Hyde Park High School en 1898, King, le défenseur de deuxième base, à l’Olympic Athletic Club de San Francisco, Beyers, le champ droit, au Harvard College, etc.
Le tableau ci-dessous reprend tous les matchs de cette équipe, dont la plupart se jouent dans le Bois de Boulogne.
La finale se déroule effectivement dans le stade olympique de Vincennes, cependant les Guards jouent non pas contre les Publishers mais contre les Picked Nine, une équipe constituée des meilleurs joueurs des autres équipes. Cette circonstance particulière n’empêche pas Stauffer de lancer un excellent match et de permettre à son équipe de remporter le titre haut la main. En commettant la bagatelle de 10 erreurs, il faut bien reconnaître que les Picked Nine lui ont grandement facilité la tâche, surtout dans le deuxième inning. Relevons au passage que l’un des deux arbitres qui officient lors de cette finale n’est autre que Farrar.
Pas si mal pour un sport ne figurant que sur la liste des disciplines en démonstration.
***
[i] « Americans Play Ball In Paris », in Chicago Daily Tribune, 27 mai 1900, p. 19.
[ii] « Les Jeux Olympiques oubliés », André Drevon, CNRS Editions, Paris, 2000.
[iii] Parmi les disciplines, au même titre que le baseball : la pêche à la ligne, les boules lyonnaises et la pétanque, le tir de canon, le combat de feu, les épreuves de cerf-volant, de pigeon voyageur, de football américain, etc.
[iv] « The Meeting Of The Olympian Games », Baron Pierre de Coubertin in The North American Review, vol. 170, n°526, juin 1900, publié par University of Northern Iowa.
[v] La Croix, 29 juillet 1900.
[vi] Aussi connu sous le nom de Cipale, il s’agit du vélodrome actuellement connu sous le nom de Jacques Anquetil. Ça ne sera pas la dernière fois que ce vélodrome accueillera du baseball.
[vii] Cf. Rapport des Concours Internationaux d’Exercices Physiques et de Sports, tome II, p. 58, imprimerie Nationale, Paris, 1902.
[viii] « Thousands Watched Game », in The Telegraph, 5 novembre 1904.
[ix] Cf. Spalding’s Base Ball Guide for 1901, p. 74 ss.
[x] “Mr. Spalding Home From Europe”, in New-York Tribune, 5 novembre 1900.
[xi] Cf. « The Russia I Believe in: The Memoirs of Samuel N. Harper 1902 to 1941 », par Samuel N. Harper et Paul V. Harper, University of Chicago Press, 1945.
[xii] Relevons au passage que l’électricité est très à la mode puisque l’une des attractions de cette Exposition n’est autre que le Palais de l’électricité qui se trouve au fond du Champ de Mars.
[xiii] Il est notamment l’auteur, outre de “Stars and Stripes Forever”, de “Semper Fidelis” (marche officielle du United States Marine Corps), de “The Liberty Bell” (reprise bien plus tard comme musique du générique du Monty Python's Flying Circus), et de la fameuse marche “The National Game”, achevée en 1925 et donnée pour la première fois à l’occasion du 50 ème anniversaire de la National League.
[xiv] La tournée du Sousa Band durera de 1892 à 1931, donnant un total astronomique de 15.623 concerts de par le monde.
[xv] Cf. sur ce point “Diamonds in the Rough: The Untold History of Baseball”, par Joel Zoss et John Bowman, p. 401.
[xvi] Cf. « Paris Invaded By Thousands Of Americans », in The San Francisco Call, 8 avril 1900.
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