4 février 2013

Un Français chez les Washington Nationals


Le 21 juillet de cet été 1895, Gus Schmelz, manager des Washington Senators, aussi connus sous le nom de Nationals, cherche à compléter son roster lors d’un déplacement à St. Louis dans le Missouri. Il est encore très fréquent à l’époque que les équipes souffrant d’absences ou de blessures trouvent les joueurs qui leur manquent dans la ville même où elles sont censées affronter leur adversaire.

Joseph Woerlin[i], Alsacien trentenaire né à Traenheim, petit village de viticulteurs à l’ouest de Strasbourg dont la famille a émigré dans le Missouri, propose ses services en tant que joueur de champ intérieur. Schmelz l’embauche. Woerlin[ii] joue un match contre les St. Louis Browns dans la National League devant 5.000 spectateurs. Il s’en tire tout-à-fait honorablement tant en défense au poste d’arrêt-court où son style est jugé excellent et où il signe trois assistances, qu’en attaque où sur trois passages enregistrés à la batte il obtient un coup sûr à la quatrième manche qui déclenche une offensive des Nationals et leur permet de prendre l’avantage temporairement. Lors de la huitième manche cependant, son co-équipier Win Mercer, bien qu’étant l’un des meilleurs lanceurs de la National League, encaisse une incroyable série de coups sûrs pour un total de huit points mérités. Les Nationals s’inclinent finalement sur le score de 16 à 8[iii]. Bien que sa carrière soit des plus éphémères - puisqu’il ne jouera apparemment plus jamais professionnellement - Joe Woerlin devient ce jour- non pas le premier, mais le deuxième joueur né en France à évoluer dans une ligue professionnelle de baseball.

Léquipe du Washington Ball Club en 1895
Pourquoi le deuxième ? Tout bonnement parce que, si l’on en croit les registres, un autre individu né en France a joué vingt ans plus tôt dans la National Association of Professional Base Ball Players : Lawrence Ressler[iv]. La toute première équipe dans laquelle sa présence peut être relevée est celle de l’Active Baseball Club[v], club fondé en 1866 à Reading, Pennsylvanie, mais devenu opérationnel seulement en 1871. Cette équipe participe habituellement à des matchs de niveau régional mais n’hésite pas à parcourir de grandes distances pour aller affronter des équipes de Washington, New York City, Philadelphie ou bien encore Chicago. A 26 ans, du 26 avril au 4 juillet 1875, Lawrence Ressler joue comme champ extérieur puis deuxième base pour étrange coïncidence ! les Washington Nationals[vi]. En 27 matchs, il passe 108 fois à la batte et ne frappe que 21 petits coups sûrs (BA .194, SLG .204, 5 RBI). En défense, il commet un improbable total de 29 erreurs, soit 11 en 20 matchs joués en champ droit ou centre et 18 en seulement 7 matchs joués dans le champ intérieur (FLD .770, 62 PO, 35 A, 2 doubles jeux). Ces statistiques ne sont guère glorieuses, et pourtant, deux autres joueurs font bien pire dans cette équipe : John Dailey, l’arrêt-court, et Andrew Thompson, le receveur, qui affichent respectivement 34 et 32 erreurs en 27 et… 12 matchs (!)[vii]. A l’issue de la saison 1875, les Washington Nationals finissent à la neuvième position avec un bilan particulièrement mauvais de 5 victoires pour 23 défaites. Deux ans plus tard, c’est dans l’équipe d’Erie, du 21 avril au 24 juillet 1877, que nous retrouvons Ressler. Erie évolue avec 27 autres clubs au sein de la League Alliance, la première ligue mineure de baseball qui disparaît au bout d’une saison à peine.


The Reading Active Baseball Club en 1875. Ressler est, au premier rang, le deuxième joueur en partant de la droite.

Qu’il s’agisse de Woerlin ou de Ressler, nous ne savons finalement que bien peu de choses de ces pionniers qui, très vraisemblablement, n’avaient pas même conscience d’en être. Qu’ils soient nés en France est une chose mais avaient-il la nationalité française ? Autant nous pouvons imaginer que Woerlin, né dans un tout petit village de l’est, était vraisemblablement Français et certainement pas issu de la colonie américaine, autant il paraît somme toute probable que Ressler soit né de parents américains (peut-être uniquement son père) de passage en France. Comment, quand et à quel âge ont-ils commencé à pratiquer le baseball ? Avaient-ils eu l’occasion de pratiquer la thèque, la balle au camp ou même le baseball avant de quitter la France ? Une chose est sûre, les Français de la métropole n’ont à l’époque jamais rien su de leurs « exploits » sportifs.

***
[i] Joseph, dit Joe, Woerlin (09/10/1864 22/06/1919). Il meurt à St. Louis, Missouri, et est enterré au Cavalry Cemetery. Bien entendu, et depuis la conclusion en 1871 du Traité de Francfort qui met fin à la guerre franco-prussienne, l’Alsace-Lorraine fait en 1895 partie intégrante de l’Empire Allemand (Deuxième Reich), mais Woerlin est bel et bien né en France. Il n’est pas exclu que la famille Woerlin ait quitté l’Alsace après la défaite française.
[ii] Voir sa fiche sur www.baseball-reference.com.
[iii] Voir au sujet de ce match The Morning Times, 22 juillet 1895, p. 3.
[iv] Lawrence, dit Larry, P. Ressler (1848 1918), né en France et mort à Reading, Pennsylvania, où il est enterré au St. Peter Church Cemetery. Lawrence pourrait être une américanisation du prénom Laurent. Après sa brève carrière sportive, il est sergent dans la Reading Police Force (cf. « Taken To Reading », in Lancaster Daily Intelligencer, 16 juin 1890, p. 1).
[v] Voir à ce sujet Baseball in Reading, par Charles J. Adams III, Arcadia Publishing, 2003, p. 11.
[vi] Cf. plusieurs articles du National Republican, notamment « The Game Of Yesterday », 4 mai 1875, p. 4 ; « An Interesting Game Of Baseball », 26 mai 1875, p. 4 ; « Philadelphia vs. Washington », 9 juin 1875, p. 1 ; « Washington vs. Nationals », 15 juin 1875, p. 4.
[vii] Voir sa fiche sur www.baseball-reference.com.

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