Le virus gagne les établissements scolaires parisiens les uns après les autres, notamment l’Ecole Libre Pascal, les Lycées Fénelon et Bossuet, mais également les Boy Scouts. Nous pouvons lire dans The San Francisco Call que
« l’Ecole Pascal est en tête du championnat interscolaire […] plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées sur le terrain de Bagatelle dans le Bois de Boulogne pour assister au match entre l’équipe du Lycée Condorcet menée par son capitaine M. Jacques de Saint Maurice et celle de l’Ecole Pascal, menée par M. J. Coudert […] Les gars de Pascal ont largement battu ceux de Condorcet sur le score de 27 à 8. Le lanceur Gervais [de] La Fontaine, petit-neveu du poète, s’est illustré au lancer. » [i]
C’est à peu près à ce moment que d’autres Américains entrent en scène et prêtent main forte au projet, notamment le légendaire jockey Tod Sloan[ii], venu en France à l’issue de sa carrière pour y entraîner des chevaux et, accessoirement, échapper à son épouse. Sloan joue un rôle doublement important. Disposant d’espace et de jeunes gens, il constitue à l’hippodrome de Maisons-Laffitte une équipe de baseball formée de garçons d’écurie français, anglais et américains. Mais ce n’est pas tout car il se trouve d’autre part que Sloan, qui a amassé un important pécule en remportant un nombre incroyable de courses, a convaincu le propriétaire d’un bar newyorkais fondé en 1860 de démonter les boiseries de celui-ci pour les remonter dans un bistro parisien, au 5 rue Daunou, entre l’avenue de l’Opéra et la rue de la Paix, c’est-à-dire à deux pas de quelques-uns des principaux palaces[iii]. Ouvert en novembre 1911, son chaleureux New York Bar devient en très peu de temps une institution, le repaire de toutes les célébrités de la communauté américaine de Paris, qui y retrouvent l’ambiance de Manhattan[iv]. L’existence même de ce lieu de rassemblement facilite bien entendu grandement la concertation générale entre les différentes organisations (Union, A.B.B. et Comité de Paris) et par conséquent la propagation du baseball.
Tod Sloan |
Dès le 2 juin, le très sérieux Washington Post affirme sans ciller, mais avec une pointe d'humour, que la France a adopté le baseball[v] :
« Mon Dieu, ze battair ees out crie le fan Français en ces jours de printemps. Notre sport national a gagné le cœur du peuple Français et, suite à une exhibition organisée par l’association le Racing près de Paris, a été accueilli comme une chose qu’il convient de nationaliser de toute urgence ».
Les matchs sont annoncés et commentés dans la presse sportive française - ce qui constitue une grande première ! – et tout spécialement dans la revue L’Aéro. Nous pouvons ainsi y trouver le 1er juillet[vi] :
« Dimanche [29 juin], au Vésinet, a eu lieu un très intéressant match de base-ball. Après avoir commencé la partie à leur avantage, les équipiers de Condorcet furent battus finalement par 35 points à 24. Le jeu fut excessivement vite et la partie dura 2h45. Remarqué, à Condorcet : MM. Origet et Spie ; au Vésinet : MM. Marc M. et Buccheri. M. Fleming arbitrait la partie, en l’absence de M. Burgess ».
Le 6 juillet[vii], ce journal annonce à ses lecteurs un match du Racing Club de France qui se tient le jour même à 14h30 à Colombes et pour lequel les spectateurs sont invités à prendre le train de 14h05 à la gare Saint-Lazare. Similairement dans le numéro du 20 juillet[viii] : « prendre le train de 14h05 à Saint-Lazare comme d’habitude ». L’expression « comme d’habitude » est très intéressante car elle laisse imaginer une parfaite régularité dans la tenue et l’organisation de ces rencontres. Faut-il pour autant prendre au pied de la lettre l’affirmation selon laquelle les propriétaires de café s’inquiètent de ce que les étudiants du Quartier Latin désertent les terrasses pour aller jouer au baseball ou assister aux matchs ?
[A suivre]
***
[i] « Baseball Craze Is On In France », in The San Francisco Call, 1er juin 1913, p. 24.
[ii] James Forman « Tod » Sloan (1874 - 1933), inventeur du « monkey crouch », qui consiste à chevaucher avec de très courts étriers. D’abord tournée en ridicule, cette méthode a été adoptée par tous les jockeys du monde suite aux résultats phénoménaux obtenus par Sloan : bien que tous les résultats de sa carrière ne soient pas disponibles, il remporte respectivement 30%, 37% et 46% des courses auxquelles il participe en 1896, 1897 et 1898 ! Il divorce en février 1912 (cf. « Tod Sloan Has Lost Wife Julia », in The Tacoma Times, 11 février 1913).
[iii] Entre autres le Grand Hôtel, fréquenté par un grand nombre d’Américains.
[iv] Comme par exemple l’acteur Charles E. McCarthy qui se fera renversé par deux voitures juste devant le bar. Cf. « American Injured By Paris Auto », in The Washington Herald, 25 août 1912.
[v] « France Adopts Baseball », in The Washington Post, 2 juin 1913, p. 6.
[vi] L’Aéro, 1er juillet 1913, p. 4.
[vii] L’Aéro, 6 juillet 1913, p. 6.
[viii] L’Aéro, 20 juillet 1913, p. 5.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Remarque : Seul un membre de ce blog est autorisé à enregistrer un commentaire.