Nous sommes au printemps 1889. Le passage de la troupe de Spalding remonte à plus de deux mois. La saison des ligues majeures a repris pour les Chicago White Stockings, qui jouent là leur dernière année sous ce nom. Bientôt, ils s’appelleront les Colts, puis plus tard les Orphans, pour enfin adopter leur nom définitif de Chicago Cubs en 1903[i]. Les matchs de baseball ont également repris à Paris, dans le Bois de Boulogne. La communauté américaine connaît une forte activité durant cette période, un nombre important d’Américains figurant en effet parmi les 32 millions de visiteurs de l’Exposition Universelle.
Le colonel William Frédérick Cody, plus connu sous son surnom de Buffalo Bill, fait partie de ceux-là. Véritable légende de la conquête de l’Ouest sauvage, il appartient avec Davy Crockett et Kit Carson à une catégorie d’hommes à part. Tour à tour soldat, grand chasseur de bisons, personnages de romans, acteur, et scénariste, ce sont ses activités de producteur du fantastique Wild West Show qui l’amènent à traverser l’océan. Sentant à juste titre que l’exposition parisienne va constituer un énorme pôle d’attraction et lui fournir l’occasion de donner son spectacle équestre devant un très nombreux public, il loue un terrain militaire sur l’avenue de la Révolte à Neuilly[ii], entre la porte des Ternes et celle de Champerret, y fait construire une installation capable d’accueillir 20.000 spectateurs, et y transporte les centaines d’hommes et de chevaux qui forment sa troupe.
William Cody à Paris en 1889 |
La première du Buffalo Bill's Wild West Show a lieu le 18 mai 1889 en présence de Sadi Carnot, Président de la République, des membres du Gouvernement, de la Reine Isabelle d'Espagne, de deux Ministres Américains, de plusieurs officiers de l'U.S. Navy, etc. Les scènes de vie des pionniers, d’attaque de diligence ou encore de chasse aux bisons sont au programme. C’est un vrai triomphe. Les journaux ne tarissent pas d’éloges[iii] ; certains vont jusqu’à écrire qu'avec la Tour Eiffel, ce spectacle constitue la seule attraction intéressante de l’Exposition universelle. Tout ce qui vient des Etats-Unis est subitement à la mode.
C’est à ce moment précis qu’arrive à Paris Timothy Paul, dit Ted, Sullivan. Considéré comme l’un des pionniers du baseball, cet Irlandais a tous les talents - joueur, coach, journaliste, écrivain, promoteur, agent, premier des scouts, fondateur de ligues (on lui attribue notamment la paternité de la Northwest League et de la Texas League, deux ligues mineures encore en activité), manager, etc. - et également un carnet d’adresse comme personne d'autre dans le milieu. C’est un éternel nomade qui passe la plupart de son temps sur les routes des Etats-Unis.
Ted Sullivan |
Libéré le 31 mars 1889 de ses obligations de manager des Washington Nationals et ayant suivi avec beaucoup d’intérêt les pérégrinations mondiales d’A. G. Spalding, il se met en tête d’organiser une tournée spécifique pour les villes de Londres et de Paris et d’ainsi promouvoir le baseball en Europe. Son idée est de battre le fer tant qu’il est chaud et, à court terme, d’implanter une ligue entre ces deux villes. Il se fait établir un passeport et embarque le 1er mai à destination de l’Angleterre. Prudent, il annonce à la presse américaine qu’il s’y rend sans intention particulière mais que, bien évidemment, il sera à l’écoute des opportunités qui pourraient se présenter. Bien des années plus tard, il dira au sujet de cette aventure : « Mon premier voyage en Europe, au printemps 1889, ne poursuivait pas d’autre objectif que le plaisir et les visites historiques, avec l’Exposition de Paris en point d’orgue. J’ai emporté avec moi une douzaine de balles officielles Spalding et une demi-douzaine de battes afin de montrer aux locaux […] notre sport national si l’occasion se présentait » [iv].
Concrètement, Sullivan profite de son séjour sur le vieux continent pour prendre contact avec quelques Américains de la communauté parisienne et surtout avec Bill Cody, à qui il propose d’intégrer deux équipes de baseball dans sa troupe. De cette façon, ses joueurs pourraient profiter de la logistique organisationnelle et le Wild West Show se retrouverait enrichi d’une attraction supplémentaire, certes un peu éloignée du monde du far west mais tellement américaine. De retour à Londres le 7 juin, il informe New York par câble spécial que « Paris s’intéresse au baseball », qu’un groupement d’hommes d’affaires a été formé aux fins de le promouvoir, et qu’il s’apprête à repartir pour les Etats-Unis afin de sélectionner les joueurs[v]. Arrivé à New York le 3 juillet, Sullivan n’éprouve pas de difficulté particulière à trouver suffisamment de volontaires, désireux de partir en tournée avec Buffalo Bill à Paris et à Londres, pour monter deux équipes de baseball.
Si toutefois Sullivan est la cible de toutes les attentions dès sa descente du navire, ce n’est pas en raison de cette hypothétique ligue franco-anglaise : beaucoup aimeraient en effet qu’il remplace John Morrill et accepte de reprendre la tête des Nationals qui font un début de saison catastrophique. Mais au bout du compte, c’est Arthur Irwin qui devient le 6ème manager de l’équipe en à peine quatre ans d’existence. Les Nationals finissent derniers de la National League avec une fiche de 41 victoires et 83 défaites, signant par là-même la fin de la franchise. Sullivan quant à lui retourne à ses occupations habituelles de scout et, très étonnamment, en vient bien vite à oublier tout-à-fait la raison de son voyage en Europe. Il n’y aura malheureusement pas de nouvelle exhibition de baseball par des professionnels cette année-là à Paris.
Quant à Buffalo Bill et sa troupe, ils poursuivent leur tournée en donnant leur spectacle devant toutes les têtes couronnées d’Italie, de Belgique, d’Allemagne et d’Angleterre. Ils reviendront en France en 1905 et il sera alors de nouveau question de baseball, comme nous le verrons plus tard.
***
[i] Lorsque Charles Comiskey implanta son club des Saint Paul Saints à Chicago en 1900, il lui donna le surnom de White Stockings avec la permission du club historique rival dont l’équipe portait alors temporairement le nom de Chicago Orphans après avoir abandonné celui de White Stockings 10 ans auparavant.
[ii] Cette avenue est devenue le boulevard Pershing et se trouve dans le XVIIème arrondissement de Paris.
[iii] Cf. Le journal de la jeunesse, 15 juin 1889 ; Le journal des Voyages, 16 Juin 1889.
[iv] Cf. Humorous Stories of the Ball Field, par Ted Sullivan, éd. M.A. Donohue & Company, Chicago, 1903
[v] « Paris Interested in Base Ball », in Omaha Daily Bee, 8 juin 1889.
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