Pour illustrer nos précédents propos sur la communauté Américaine de Paris, attardons-nous un instant sur l’expérience personnelle de Frank Norris. De son nom complet Benjamin Franklin Norris Jr., ce jeune Américain originaire de Chicago séjourne à Paris de 1887 à 1889. Il y étudie la peinture à l’Académie Julian puis retourne aux Etats-Unis pour étudier à Berkeley, Californie. Il devient par la suite correspondant de guerre à Cuba en 1898 pendant la guerre hispano-américaine. Ses grands romans tels McTeague: A Story of San Francisco (1899), A Man's Woman (1900), A Deal in Wheat and Other Stories of the New and Old West, The Octopus: A Story of California (1901) ou encore The Pit: A Story of Chicago (1902) ne sont pas sans rappeler parfois Zola, dont il a découvert l’œuvre à Paris.
Dans l’une de ses nouvelles publiée en 1897, This animal of a Buldy Jones [i], Norris imagine une histoire de querelle entre étudiants du Quartier Latin qui se résout un matin de novembre par un duel au bois de Boulogne, derrière le moulin de Longchamp. Les deux protagonistes, jeunes artistes de l’Académie Julian, sont un Français particulièrement belliqueux nommé Camme et un Américain prompt à défendre l’honneur de son pays et répondant au nom de Buldy Jones. Ce dernier ayant le choix des armes et prétextant une ancienne tradition de Shee-ka-go, décide de porter son dévolu, non sur des pistolets, non sur des sabres, qu’il ne sait pas manier, mais sur des balles de baseball qu’il maîtrise assurément beaucoup mieux... Confronté au choix entre la manière Yale (les balles) et la manière Mexicaine (les couteaux, mais avec les poignets gauches liés ensemble), Camme opte pour ce qui lui paraît moins dangereux et tombe finalement dans le piège. Au moment convenu, les deux adversaires se mettent dos à dos, s’éloignent l’un de l’autre afin de mettre entre eux les 60 pieds réglementaires, se retournent et tirent. Bien entendu, le Français rate lamentablement sa cible en lançant à la manière d’un joueur de cricket, tandis que l’Américain, ancien lanceur de l’équipe de baseball de l’Université de Yale, lui fracture la mâchoire en lui expédiant sa balle sur le menton, le mettant KO par la même occasion.
Lisez l’intégralité de cette nouvelle ici.
A la lecture de cette histoire que l’on devine fortement autobiographique, c’est sans aucun effort que nous pouvons imaginer Frank Norris et ses camarades s’adonner aux joies du baseball dans le bois de Boulogne. Seulement, plutôt que de ne traiter que du baseball à Paris, Norris a eu la finesse de combiner un stéréotype bien Français (nous verrons ultérieurement que le cliché du duel sera réutilisé à foison pendant encore quelques décennies) à cette activité typiquement Américaine. Bien qu’assez farfelu, son récit révèle assez bien à quel point ce sport est familier à certains étudiants du Quartier Latin avant même 1889 : « No American gentleman of honor travels wihout them » ? Quoi de plus évident ! Les jeunes Américains amènent en France leur équipement de jeu habituel. Pas question pour eux de se priver de leur national game.
Frank Norris (1870 – 1902) |
Frank Norris deviendra à la même époque que Jack London membre du très sélect Bohemian Club de San Francisco, considéré comme l’un des clubs les plus fermés du monde. Il meurt prématurément en 1902 à l’âge de 32 ans.
[i] The apprenticeship writings of Frank Norris, 1896-1898, volume 1: 1896-1897, Joseph R. McElrath Jr. et Douglas K. Burgess, éd. The American Philosophical Society, Philadelphie, 1996.
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