7 avril 2023

Un As

 

A tout seigneur tout honneur, j’avais envie, pour entamer cette section consacrée à la période 1914-1919, d’en accorder le premier article à un illustre de nos héros fort injustement tombé dans l’oubli : le benjamin des As de la Grande Guerre.

Pierre Marinovitch (parfois orthographié Marinowitch, Petar Marinović ou Петар Мариновић en serbo-croate, surnommé Marino par ses camarades) est né le 1er août 1898 dans le 16ème arrondissement de Paris d’un père Serbe, Bélisaire Marinovitch, ingénieur civil à la compagnie du Théâtrophone[i], et d’une mère russe de souche polonaise, Agrippine de Bronkov (ou Bournckoff). Son grand-père paternel, Jovan Marinovitch, a été Premier ministre de Serbie en 1873 - 1874, puis ambassadeur de Serbie en France de 1879 à 1889. Son arrière-grand-père était le négociant Miša Anastasijevitch, devenu richissime grâce au commerce de sel de Valachie et de Moldavie. Promis à un brillant avenir, le jeune Pierre parle couramment plusieurs langues dont le serbo-croate, le russe mais aussi l'anglais. Elève au lycée Condorcet, il joue au baseball en 1913-1914 dans les rangs de l’A.B.B. et figure à l’arrière-plan sur l’unique photo retrouvée jusqu’à présent de cette équipe (voir l’article ici). Pierre et ses parents sont domiciliés au 4, rue Tronchet à Paris, et peut-être vous souviendrez-vous que c’est au 27 de cette même rue que Spalding fonda la Société Française des Publications Sportives, à quelques pas de la boutique du boulevard des Capucines (lire l’article Les premiers parrains – Spalding).

Le 31 janvier 1916, son père effectue une déclaration de nationalité, ce qui lui confère la nationalité française de par sa naissance à Paris. Impatient d’entrer en action, il s'engage dans l’armée française en février 1916, âgé seulement de 17 ans et demi au bureau de recrutement de Paris sous le matricule n° 238[ii]. Incorporé tout d’abord au 27ème régiment de dragons (cavalerie) comme simple soldat de 2e classe, il y fait vraisemblablement l’expérience du front. Il est transféré au service aérien cinq mois plus tard en tant qu’élève pilote à l'école d'aviation militaire de Chartres. Il y décroche son brevet de pilote le 15 novembre 1916[iii], effectue un stage de perfectionnement à l'école d'aviation militaire de Châteauroux, rejoint l'escadrille N.38 en mars 1917, puis est transféré à la Spa 94, créée en réunissant les moyens matériels et aéronautiques des détachements de chasse 512, 513 et 514 à partir du 1er juin 1917. Il est alors brigadier. 


A partir de ce moment-là, il va enchaîner les faits d’armes et gravir les échelons tout aussi rapidement qu’il va décrocher les médailles.

Le 8 septembre 1917, Pierre Marinovitch récemment nommé maréchal des logis attaque un groupe de quatre monoplaces de chasse allemands au-dessus de St-Hilaire-le-Petit, remporte sa première victoire et reçoit une première citation à l'ordre de l'armée : « Pilote habile et audacieux, toujours volontaire pour les missions les plus dangereuses. Le 8 septembre 1917, en combat aérien, a abattu un avion ennemi dans ses lignes ».

Le 5 décembre 1917, Marinovitch remporte sa seconde victoire homologuée en forçant l'équipage d'un Rumpler C à s'écraser près de Mourmelon-Baconnes. Il est récompensé d'une citation à l'ordre de l'armée qui lui est décernée, le 16 décembre 1917 : "Excellent pilote de chasse, d'une audace exceptionnelle ; a soutenu de rudes combats, rentrant souvent avec un appareil gravement atteint. Le 5 décembre 1917, a attaqué seul un biplace ennemi et l'a abattu dans nos lignes."

Le 22 décembre 1917, il abat un autre Rumpler C au Nord de Pont-Faverger. Il reçoit une nouvelle citation à l'ordre de l'armée : "Pilote de chasse accompli, volontaire pour toutes les missions périlleuses, a montré dès ses débuts une audace et une ardeur admirables qui ne se sont jamais démenties. N'a pas livré moins de trente combats, ramenant souvent son appareil criblé de balles ou d'éclats d'obus. Le 22 décembre 1917, a abattu son troisième avion ennemi."

Affecté le 1er janvier 1918 à l'escadrille N 156, Marinovitch remporte le jour même sa 4ème victoire homologuée contre un nouveau Rumpler C dans les environs de Beine. Pour ce nouveau fait d'arme, il est promu adjudant quelques jours plus tard et reçoit une quatrième citation à l'ordre de l'armée : "Pilote de chasse accompli, ne cesse de donner de nouvelles preuves de son audace et de son courage. Le 1er janvier 1918, a abattu loin dans ses lignes un avion ennemi, portant ainsi à quatre le nombre de ses victoires."

Le 19 janvier, Marinovitch s'en prend à un Albatros D V qu'il croise loin dans ses lignes, au Nord de Manre-Beine et remporte ainsi sa 5ème victoire homologuée.

Et ainsi de suite, au point qu’il fête ses 20 ans en août avec déjà 14 victoires à son actif, dont deux particulièrement remarquables sur le Prince Walter von Bülow et Karl Paul Schliegel, crédités respectivement de 28 et 24 victoires aériennes. Il brille littéralement par son exceptionnelle audace et force à juste titre l'admiration de son escadrille et de ses supérieurs. En tout, de septembre 1917 à novembre 1918, à bord d’un Nieuport puis d’un Spad orné du symbole de la SPA 94, « la mort fauchant », Marinovitch est crédité d'un total de 21 victoires aériennes[iv]. Ajoutons à cela que trois à cinq autres victoires, jugées probables, n'ont pas été homologuées faute de preuves[v]. Lorsqu’il est nommé sous-lieutenant le 20 octobre 1918, il est déjà décoré de la Croix de Guerre (6 citations, 14 palmes), de la Military Cross et s’est vu remettre la Médaille militaire des mains du général Gouraud, commandant de la 4ème armée, ainsi que les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur de celles du général Duval, chef du service aéronautique au GQG ! 


Un Spad aux couleurs de l’escadrille 94. On reconnaît l’insigne de la faucheuse visible sur la poitrine de Marinovitch.

 Au moment de la signature de l’armistice, Marinovitch est considéré comme le plus redoutable des pilotes de son escadrille mais surtout, il a rejoint le cercle très fermé des pilotes Français comptant plus de 19 victoires, ce qui fait techniquement de lui un As au même titre que René Fonck (75 victoires), Georges Guynemer (53) et Charles Nungesser (43), pour ne citer qu’eux, mais à la différence de ceux-ci, lui n’a combattu qu’à peine plus d’un an comme pilote ! La presse parle de lui et insiste sur son jeune âge, le baptisant « Benjamin des As ».

Son statut d’As et sa gloire ne le rendent malheureusement pas infaillible. Après avoir intégré l’escadrille des grands raids, une formation organisée par l’état-major après la guerre pour réaliser des raids de prestige, il est envoyé en Belgique pour y préparer une exhibition aérienne à Evere. Le 2 septembre 1919 à 17h, alors qu'il fait une démonstration de voltige à basse altitude, son Spad s'écrase sur le terrain d'aviation de Bruxelles-Haren en présence du roi Albert Ier et de la reine Élisabeth. Il meurt le 3 septembre à l'hôpital militaire de Bruxelles[vi]. 

Les obsèques de Pierre Marinovitch.

Il serait évidemment présomptueux d’affirmer que ce jeune garçon a développé ses réflexes et son sens de l’anticipation, qualités indispensables à tout bon bilote de chasse, uniquement grâce à sa très brève pratique du baseball mais il ne fait aucun doute que Marinovitch aurait pu constituer le plus magnifique sujet de communication pour une organisation souhaitant vanter les vertus guerrières de ce sport ou simplement rendre hommage à cette jeunesse sacrifiée. Songez, pour vous en convaincre, à cet autre lieutenant pilote français, mort en combat aérien le 5 octobre 1918, qu’était Roland Garros et qui ne joua pratiquement jamais au tennis. Son nom n’est finalement passé à la postérité collective que parce qu’il a été donné, sous l’insistance de son ami Émile Lesieur, au stade de tennis parisien qu’il fallait construire pour accueillir les épreuves de la coupe Davis ramenée en France par les « Mousquetaires »[vii]. A tout le moins, il me semblerait juste que la Fédération Française de Baseball honore Marinovitch en donnant son nom, si ce n’est à un stade, à la principale compétition de 18U.

Marino est inhumé au cimetière du Père-Lachaise[viii]. Passez donc le saluer à l’occasion. 

La tombe de Pierre Marinovitch.

 

 *** 


[i] Le théâtrophone est une utilisation spécifique de la communication téléphonique. Cette invention mise au point en 1881 par Clément Ader permet d’écouter l’opéra en restant chez soi. Le développement de la TSF y mit un terme dans les années 1930.

[ii] Fiche matricule du 6ème bureau de la Seine conservée aux archives départementales de Paris.

[iii] Brevet n° 4910.

[iv] Ou même 25 selon certaines sources.

[v] Dont deux Fokker Dr I abattus dans les environs de Longpont et un biplace contraint d'atterrir dans la région de la Ferté-Milon-Mosloy.

[vi] Voir sur le site http://www.as14-18.net/Marinovitch pour plus de détails sur ses victoires et ses appareils, ainsi que http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille094.htm pour le détail des citations.

[vii] Lacoste, Borotra, Cochet, Brugnon. Pour mémoire, le surnom de Crocodile a été attribué à Lacoste par la presse américaine, à la suite d'un pari qu'il aurait fait en 1923 avec Allan Muhr, alors capitaine de l'équipe de Coupe Davis, à Boston.

[viii] Allée Carette, 92e division, à 10 rangs de l’avenue transversale n° 3.





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