Le passage des professionnels de la Major League Baseball à Nice et à Paris, le lancement de la All-Paris League dans sa nouvelle édition, le premier match du IX de France au Parc des Princes, tout cela ne constitue qu’une partie d’un plan bien plus vaste et ambitieux minutieusement concocté par Albert G. Spalding et ses lieutenants. Cet été 1914 doit voir la mise en œuvre crescendo de moyens de promotion du baseball encore plus efficaces.
Tout d’abord, après l’Angleterre, la Tamise et Buckingham Palace durant l’été 1913, place à l’Espagne, ses senoritas et ses toreadors ! Le journal The Gazette du 31 mai 1914[i] annonce que les joueurs du Racing Club de France et de l’American Paris Team doivent effectuer un déplacement à Barcelone à l’occasion de la Pentecôte afin d’y jouer une série de trois matchs contre une équipe d’Américains apparemment actifs dans le commerce local de vin[ii]. L’article laisse entendre que ces matchs sont censés se jouer dans la toute nouvelle arène de tauromachie, la Plaza de toros Monumental de Barcelona, inaugurée en avril et pouvant accueillir pas moins de 8.000 spectateurs. Ce déplacement est tout-à-fait plausible – d’autant qu’il en est question à plusieurs reprises depuis le mois de février[iii] – mais la date ne coïncide pas puisque la Pentecôte tombe le 31 mai, jour de publication de l’article, or nous avons vu précédemment que le Racing Club de France et l’American Paris Team sont censés jouer au Parc des Princes ce même weekend. Considérons que le journaliste s’est trompé et que ce déplacement est prévu pour plus tard en juin. C’est d’ailleurs ce que confirme, sans pour autant indiquer de date exacte, The daily Gate City du 14 juin 1914[iv]. Il est bien difficile de déterminer si les matchs exhibition de Londres ont donné de quelconques résultats outre-manche mais enfin il est certain que c’est en multipliant ce genre d’événements que le baseball progressera en Europe. Sans doute les artistes Peirce et L’Engle, membres de l’American Paris Team qui ont séjourné quelques temps en Espagne en 1910 pour y étudier au Prado, pourront-ils servir de guides à la délégation.
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W. Peirce et W. L'Engle au Prado en 1910, entourés de leurs copies des tableaux de Diego Velázquez. |
La célébration de la fête nationale américaine, le 4 juillet 1914, doit être le prétexte pour une nouvelle exhibition de baseball au Parc des Princes – notez qu’il s’agit de la troisième dans le stade d’Auteuil depuis le début de l’année, sans compter évidemment les matchs de la saison « régulière ». L’Ambassadeur des Etats-Unis, Myron T. Herrick, promet d’y être présent pour y lancer la première balle et des invitations doivent être adressées aux principales personnalités du mouvement sportif français et notamment aux éminents membres du Comité Olympique Français. On retrouve ici encore la manifestation de la volonté constante de convaincre le mouvement olympique que le baseball a une place légitime au premier rang des sports mondiaux. Il ne fait aucun doute qu’un événement de ce type est de nature à attirer la foule.
A la fin du mois de juillet, le réputé Ted Sullivan, dont nous avons pu constater toute l’efficacité dans l’organisation de la tournée mondiale des major-leaguers, embarque à bord d’un steamer transatlantique afin de venir apporter sa contribution personnelle au développement du baseball en France. A 63 ans, lui qui cherche depuis 1889 à s’impliquer dans la propagation mondiale de son sport (souvenez-vous de l’épisode avec Buffalo Bill), tient enfin là une fantastique opportunité[v] qu’il souhaite décliner en deux volets. Tout d’abord, il vise au développement des clubs locaux par le recours à des stars des colleges américains en guise de coaches. Combien de coaches envisage-t-il d’amener en France et à quels clubs les destine-t-il ? Impossible de le dire, mais il est certain que l’import de véritables techniciens est susceptible de grandement accélérer la progression du niveau de jeu. Ensuite, plus classiquement pourrions-nous presque dire, il entend constituer deux équipes de joueurs professionnels, l’une pour la National League et l’autre pour l’American League, et organiser des matchs exhibition à Berlin, Dublin et Paris à l’issue de la saison en cours, soit possiblement dès septembre ou octobre 1914. Les professionnels n’avaient pas pu jouer dans la capitale en début d’année à cause des exécrables conditions météorologiques mais tout n’est pas perdu et il y a encore de l’espoir pour le public Parisien !
Preuve s’il en est que la tournée promotionnelle provinciale d’août 1913 a déjà commencé à porter ses fruits et que la méthode employée est manifestement la bonne, l’équipe du Vésinet affronte lors du weekend du 1er mars 1914, à Dieppe, une équipe locale devant pas moins de 3.000 spectateurs[vi]. Il serait intéressant de savoir si le club de Dieppe est entièrement tenu localement ou si l’une ou l’autre des organisations parisiennes la soutient d’une manière ou d’une autre. En est-il de même au Havre ? A priori, rien en l’état de nos recherches ne permet d’affirmer que le Havre Athletic Club a adopté le baseball en son sein. Mais enfin, l’escapade précédente ayant été un franc succès, et probablement aussi une bonne partie de plaisir, c’est fort logiquement que les plans pour l’été 1914 incluent une nouvelle tournée promotionnelle dans les villes balnéaires normandes en août[vii]. Etretat et Dieppe, avec la programmation d’une nouvelle réception par le maire et les notables de la ville, sont reconduites comme étapes. Rouen, Trouville, Deauville et Dinard sont évoquées[viii]. Inversement et assez curieusement, Le Havre et le stade de Sanvic ne sont plus sur le parcours. Muhr fera encore une fois une démonstration de ses talents d’organisateur tandis que Harold B. White pourvoira à la logistique en fournissant les véhicules Ford. Cette tournée est censée créer des vocations locales et donner lieu à la constitution de nouveaux clubs en province.
Enfin, c’est aussi lors de cet été 1914 qu’un tout nouveau projet d’envergure doit voir le jour. Le Boston Evening Transcript[ix] rapporte dès février 1914 que les différents acteurs du développement du baseball Français s’attendent à recevoir un renfort de poids de la part des écoles militaires : Quatre instructeurs ont en effet l’intention de commencer à y enseigner le baseball[x]. Ces hommes, qui ont entrepris d’étudier consciencieusement les règles, la terminologie et les subtilités du jeu, sont vraisemblablement issus du lycée militaire de Saint-Cyr qui a adopté une nouvelle approche de l'instruction militaire consistant à donner aux élèves autant de cours théoriques que pratiques. Mais à vrai dire, ils pourraient tout aussi bien être issus de l’école normale militaire de gymnastique de Joinville, et c’est là un point qui reste à clarifier. Peut-être les observateurs de l’État-major Français de la guerre hispano-américaine de 1898 ont-ils encore en mémoire les prouesses des hommes de Theodore Roosevelt lors de la prise des collines de San Juan, en partie attribuées à la pratique du baseball par les jeunes Américains ? Quoi qu’il en soit, un tel projet assurera évidemment une propagation bien plus rapide de la discipline, en plus de fournir rapidement de nouvelles équipes structurées au championnat.
Non, on le voit bien, à moins d’une catastrophe, absolument rien ne saurait entraver le développement du baseball en ce si bel été 1914.
Cet article est spécialement dédié à Gaspard Fessy, ancien joueur de l’Equipe de France de baseball, ancien Normand (notamment !), grand Amoureux de Barcelone.
***
[i] The Gazette Times, 31 may 1914, op. cit.
[ii] Voir au sujet du développement du baseball espagnol « Baseball Climbs In Sunny Spain », in The Washington Times, 18 septembre 1913.
[iii] « Baseball Gaining Ground In France », in The Day, 28 février 1914.
[iv] « Baseball Bug Stings France », in The daily Gate City, 14 juin 1914, p. 15.
[v] « Ted Sullivan To Promote Baseball In Foreign Lands », in Honolulu star-bulletin, 24 juillet 1914, p. 9.
[vi] « France Strong For Baseball », in The Evening News, 16 mars 1914.
[vii] The Gazette Times, 31 may 1914, op. cit.
[viii] « Baseball Bug Stings France », op. cit.
[ix] « Baseball in France », in Boston Evening Transcript, op. cit. ; Voir aussi : « Baseball likely to gain foothold among the youth of France », in The evening herald., 28 février 1914.
[x] « Baseball in France », in The Washington Post, 15 mars 1914.
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