Comment arrêter cette machine aux rouages implacables qui,
depuis l’assassinat de l’Archiduc Héritier d'Autriche François Ferdinand à
Sarajevo le 28 juin 1914, s’est mise en marche et s’apprête à broyer
inexorablement ces anciens et vastes empires ? (Lire Sur le fil) Comment les
hommes pourraient-ils échapper à leur destin individuel et collectif ? Quel
sens donner à tout cela ? Pourquoi donc cette course vers le précipice, le
néant ? « La volonté de Dieu
s'est accomplie ! », voici ce qu’annonce au Parlement le Premier Ministre de Hongrie
en cet été 1914. Explication bien commode, écartant d’emblée la responsabilité
des différents gouvernements, exonérant de toute faute les hommes et leurs
instincts les plus vils.
Tous les hommes ne se résignent pas pour
autant aussi facilement. Tenter d’éviter le pire, c’est ce que fait le baron
de Constant de Rebecque, sénateur de la Sarthe, lauréat du prix Nobel de la Paix en 1909. Avec une
énergie folle, refusant d’admettre l’inéluctable, ralliant à lui ses amis tel
l’Allemand Otto Umfrid[i],
il s’évertue à mettre ses théories en application immédiate, et comme l’arbitre
de baseball qu’il voulait être (lire Duel, baseball et Prix Nobel de la Paix),
il tente de se dresser entre les adversaires et se débat pour tâcher d’imposer
son autorité. C’est sa mission, c’est toute l’œuvre de sa vie qui est en jeu.
Hélas, il a beau œuvré jusqu’au bout pour le rapprochement
franco-allemand, il a beau essayé de convaincre les représentants des nations
engagées que le salut de celles-ci passera forcément par le pardon et la
création d’une grande confédération européenne, que le vrai risque est celui à
terme d'une domination économique et politique de l'Europe par l'Amérique du
Nord et l'Asie, tout ceci n’est à ce stade désormais rien de plus qu’un inutile
verbiage. A part ses disciples, plus personne n’écoute ce prophète. Puisque
l’on vous dit que c’est la volonté de Dieu !
Le 31 juillet, Jaurès est assassiné.
Constant de Rebecque, écrira plus tard à son sujet :
Constant de Rebecque, écrira plus tard à son sujet :
Une heure avant d'être assassiné, je l'ai vu ; il accourait au Quai d'Orsay, ce 31 juillet au soir, adjurer Abel Ferry. Je vois, j'entends encore la douleur, la sainte révolte de ce noble coeur, impuissant à briser le intrigues qu'il soupçonnait et dont le triomphe épouvantable allait éclater. Il demandait à chacun de nous ce que nous suggérions, ce qu'on pouvait faire pour empêcher l'explosion ; et je le vois allant de l'un à l'autre, se tordant les mains, s'écriant, hurlant : "Rien ! Voilà tout ce que vous trouvez à faire ! Rien ! Rien !" J'entends encore sa belle voix déchirée et ce mot terrible, son dernier cri : "Rien, rien à faire !" Mais j'en comprends mieux aujourd'hui, après tout le sang répandu, la terrible signification.
La mobilisation est décrétée dès le lendemain en France. Le 3 août, l'Allemagne déclare la guerre à la France.
Dès le lendemain, 4 août 1914[ii], le bureau du Conseil de l’USFSA se réunit en urgence en présence de son Secrétaire Général Franz Reichel[iii] et de deux de ces membres, Messieurs Henri Glin et Henri Vieillard. Ensemble, ils promettent d’assurer la surveillance des services unionistes qu’il est encore possible de remplir[iv] et proclament d’une voix unanime :
Dès le lendemain, 4 août 1914[ii], le bureau du Conseil de l’USFSA se réunit en urgence en présence de son Secrétaire Général Franz Reichel[iii] et de deux de ces membres, Messieurs Henri Glin et Henri Vieillard. Ensemble, ils promettent d’assurer la surveillance des services unionistes qu’il est encore possible de remplir[iv] et proclament d’une voix unanime :
« Vive la France ! C’est le seul cri qui convienne, c’est le seul que nous pousserons avec la confiance profonde d’une victoire prochaine, complète et définitive. […] la mobilisation, la guerre nous ont surpris en pleine activité ; la tâche n’est qu’ajournée, elle sera reprise et avec d’autant plus d’ardeur et de confiance, que ce que nous avons fait depuis vingt-sept années aura, dans les heures suprêmes que nous vivons, montré son utilité. »
Il faut relire cette dernière phrase avec
beaucoup d’attention pour constater à quel point les hommes de cette génération
sont imprégnés de l’esprit de revanche. Il faut, pour bien comprendre toute la
portée de leurs mots, avoir encore en tête la cuisante défaite française de 1870,
et se souvenir que, pour eux, le salut de la Nation devait nécessairement
passer par une profonde réforme de l’éducation destinée à faire émerger une
nouvelle race de soldats virils et athlétiques (lire Sept petits innings pourconvaincre les Français ?). Il faut impérativement garder à l’esprit l’épisode
de la prise des collines de San Juan par les Rough Riders de Theodore Roosevelt
en juillet 1898 pour comprendre l’une des raisons de l’intérêt pour le baseball
(lire Les champs de baseball de l’Amérique).
Pour un peu, on croirait presque entendre
Franz Reichel se réjouir que la guerre éclate et que la pertinence de ces
théories puisse enfin être démontrée.
Pour un peu, on aurait presque envie de pleurer devant tant de naïveté.
Pour un peu, on aurait presque envie de pleurer devant tant de naïveté.
***
[i] La remise du Prix Nobel de la paix est retardée à cause de la Première
Guerre mondiale qui vient d'éclater. Otto Umfrid se trouve parmi les six
candidats nommés pour le prix, qui ne sera finalement pas décerné.
[ii] In Tous les sports, 7 août 1914.
[iii] Par ailleurs aussi Secrétaire Général du Comité des Sports.
[iv] Procès-verbal paru dans Tous les sports, 7 août 1914, p. 3 (467).
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